Réalisateur principal des Concerts à Emporter de La Blogothèque de 2006 à 2009, il a depuis, multiplié les projets à travers le monde avec sa caméra et son sac à dos. Vincent Moon est un cinéaste, ethnomusicologue, conteur d’histoires, investigateur de traditions, témoins de notre temps et fondateur du label Collection Petites Planètes. Il réponds à quelque questions sur ses expériences de voyage, son futur projet avec Priscilla Telmon “Híbridos, os novos espíritos do Brazil” et sa soif de raconter l’Autre. A l’heure du “tout-automatique”, Moon lui, s’intéresse au sacré… Rencontre !
SLO – Ma première question est simple, as-tu déjà eu l’occasion de séjourner dans une auberge de jeunesse ? Quelle expérience en gardes-tu ?
De très nombreuses fois, au cours de la plupart de mes voyages, sans le sou et parfois juste en manque de paroles. Souvenirs divers et variés, bariolés plus souvent de bons plans et de gens qui me ressemblent plus que de vécu et d’odeur du terroir. On y apprend sur le tard à cuire un œuf au cas où. Avec en commun une vision très occidentale du voyage et de l’attitude en sac.
SLO – Que réponds-tu aux personnes qui disent par exemple « cet été, j’ai fait le Cambodge » en y restant 2 semaines ? C’est globalement ” l’attitude sac “dont tu parles ?
Je ne suis pas du genre à penser que le manque de temps est un méfait. Il inscrit aussi dans un rythme qui peut donner lieu (parfois) à une expérience toute aussi profonde qu’une plongée de deux ans en tribu.
SLO – L’hébergement est-il un point important lorsque tu voyages ?
Pour qui un lit ne l’est il point?
SLO – « J’ai jamais aimé voyager, je perds mon passeport, j’ai des problèmes avec les douaniers… j’aime être dans un pays et y vivre, j’aime beaucoup.. » Henri Cartier Bresson. Te reconnais-tu dans cette phrase ?
Non. Jolie formulation qui renvoie à Levi-Strauss, mais les temps changent et les voyages avec.
SLO – As tu déjà eu l’occasion de venir à Lyon ? Si non, que t’évoque cette ville ?
Très peu, trop peu. Évocation de ma mollesse quant à ma culture. Notre génération a tenté de fuir son voisin, et je suis tout autant coupable.
SLO – Si tu avais 3 livres à faire découvrir à nos lecteurs/voyageurs ?
– Ébène, de Kapusckinsky, immense journaliste, vrai baroudeur dada, qui a su voyager parce que fauché.
– Le Chant des Pistes, de Chatwin. Parce que la musique, depuis l’origine du monde.
– Food of the Gods, de McKenna. Parce que aujourd’hui tout grand voyage est aussi psychédélique.
SLO – Travailler pour voyager ou voyager pour travailler ?
Ne travailler jamais. Ou bien ne prendre jamais de vacances. Entre les deux, prendre la route.
SLO – Pourrais-tu nous donner ta définition du mot hospitalité ?
Savoir recevoir son meilleur ennemi comme un fils et lui offrir gîte et couvert. Choses que le Caucase m’a appris plus qu’ailleurs. Et sensations que l’uniformisation du monde lisse l’aspérité et la bouteille de vin du propriétaire.
SLO – Si tu devais retenir une expérience de voyage qui t’as particulièrement marqué ?
Difficile de parler d’une seule… En général les découvertes de cultes locaux et populaires, comme le Jathilan en Indonésie, comme l’Umbanda au Brésil, le Len Dong au Vietnam et bien d’autres… En cherchant vers ces cultes/rituels souvent très mal documentés par les chercheurs occidentaux et ainsi de suite peu considérés par les élites locales, on comprend quelque chose de l’histoire du monde et de l’intégration d’éléments extérieurs à une culture et sa façon de les digérer pour en régurgiter quelque chose de nouveau – et de continuellement sacré, même si les éléments intégrés viennent du monde profane
SLO – Peux-tu nous présenter ton projet « Híbridos » ?
Híbridos est un long projet d’exploration filmique et sonore du sacré au Brésil. Une ethnographie expérimentale sur la transe, les visions, Dieu et la re-sacralisation du monde. Une tentative de faire un cinéma du corps pour célébrer les esprits de la grande Terre en Transe qu’est le Brésil aujourd’hui.
[source : projetohibridos.tumblr.com ]
SLO – Selon toi, les Européens “comprendront-ils” un jour le sens du mot Spiritualité ?
La culture européenne dominante a tenté de faire disparaître le rapport spirituel non-médiatisé – la transe, la communication directe avec le monde spirituel. Celle ci survit encore dans quelques lieux, rares, d’Europe. Mais il est à parier que les nouvelles formes de communication spirituelles qui s’inventent aujourd’hui au Brésil et, dans une moindre mesure, en Amérique du Sud (et dont l’utilisation de plantes sacrées est une des clés) auront un impact immense à travers le monde, principalement parce que la science commence à dialoguer avec l’indien. Et la transe reprendra de plus belle dans cette vieille Europe.
SLO – Un jour, un Brésilien est arrivé à l’auberge et m’a demandé si je connaissais le Lyonnais Allan Kardec. Il me raconte que c’est le père créateur du Spiritisme et qu’il est l’un des auteurs sociologiques français les plus lu au Brésil. Sans trop rentrer dans les détails pourrais-tu nous expliquer brièvement la différence entre spiritualisme et spiritisme ?
Le spiritisme au Brésil est une doctrine qui a imprégné toutes les strates de la société, très rapidement en l’espace de quelques décennies. La figure de Kardec a par contre disparu des tablettes en France. Sa position de ‘codificateur’ du Spiritisme (on parlera à sa suite de Kardécisme) donne aujourd’hui lieu à des milliers de centre spirites, hôpitaux spirituels dans lesquels les maladies sont traitées sur le plan des esprits et non sur le plan de la matière. On trouvera parmi les ‘médecins’ de ces centres, de nombreux docteurs officiels qui donnent de leur temps pour soigner sur un autre niveau les patients, parfois voire souvent les mêmes personnes.
SLO – Pour finir, quel est ton Japa ou Mantra dans la vie ?
Saravah!
www.vincentmoon.com | Speaker Ted.com
Florent Picollet
@LeFLow